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Je suis "la place du Général de Gaulle" !

C’est écrit en tout petit, au dos d’une vieille maison de pierre, au bas du bourg de Plougonvelin.

Il faut vraiment avoir besoin d’y venir pour savoir qu’elle existe. Seuls, les enfants du pays la connaissent : c’est là qu’est leur école, ainsi que quelques riverains qui y résident depuis plus de quarante ans !

Ensemble, faisons un grand saut en arrière et écoutons-la nous raconter son histoire !

« Je me vois encore vers les années cinquante. Je suis alors un champ verdoyant où les animaux de la ferme voisine viennent brouter mon herbe fraîche. Sur mon flanc gauche se colle le bistrot de Mademoiselle Léaustic et, en tendant l’oreille, j’entends encore les conversations animées des clients réguliers et celles des rassemblements des « après messes » quand, obligations religieuses remplies, des villages entiers se retrouvent pour le journal parlé de la semaine qui vient de s’écouler.

A ma droite, un vieux puits mitoyen, au dos arrondi et à la margelle usée par les ans, désaltère aussi bien les bestiaux que la famille Bréhier , mes voisins.

A mes pieds, une route profonde permet, en partant du bas du bourg, de se rendre au Lannou, carrefour important de l’axe Brest–Le Conquet.

Tout au fond, une haie d’ormes feuillus m’abrite des vents dominants : les animaux sont bien à l’abri lors des coups de « tabac » des tempêtes d’équinoxe.

Attention ! Voilà de la visite ! C’est une bande de jeunes du village à la recherche d’un terrain pour shooter dans un ballon rond durant l’hiver. Un filet de buts de foot-ball à chacune de mes extrémités…. quelques tracés sur mon dos…. et je deviens, chaque dimanche, le rendez-vous, non seulement des footeux du coin, mais aussi des nombreux spectateurs, heureux d’avoir un divertissement près de chez eux.

Au printemps, le championnat terminé, je retrouve mes vaches et je peux me reposer sur les lauriers obtenus par les sportifs du dimanche.

Encore du monde ! Cette fois, un groupe de paysans, les gens du pays, m’inspecte sous toutes les coutures. Ils me mesurent dans tous les sens…, font de grands gestes…, et fi nalement se tapent dans les mains en signe d’accord. C’est décidé, j’ai été reconnu apte à recevoir le Concours Agricole. En effet, le jour « J », je vois arriver, veaux, vaches, cochons, poulets…. Il ne manque que Perrette avec, sur la tête, son pot au lait bien posé sur un coussinet…. Des chevaux aux belles crinières tressées pour l’occasion, nos « chers » postiers bretons, aux fronts parés de fleurs multicolores en papier crépon. Le long des talus de vieilles bâches tendues protègent de sommaires tables où les gosiers secs des retrouvailles d’un jour peuvent s’abreuver. Le jury s’affaire…, tâte…, mesure…, pèse…, fait courir les concurrents à quatre pattes qui, hébétés, se demandent ce qui

leur arrive aujourd’hui. Enfin, le soir tombe, chacun s’en retourne chez soi, me laissant d’innombrables tas de détritus et de la musique plein la tête.

Enfin un peu de répit, la vie continue…, tranquille !

Nous voici en 1962. Décidément, encore une fois, je vois trois jeunes agriculteurs, Yves, Alexandre et Henri , novateurs en cultures légumières, qui cherchent un terrain bien situé pour construire un magasin de conditionnement de légumes. Toutes les conditions semblent réunies ; il y a suffisamment de place pour garer les charrettes et les remorques de choux-fleurs et tout près, quelques bistrots n’attendent que cela.

Je deviens donc un parking et mon voisin d’à côté reçoit un grand hangar qui abrite des machines et permet ainsi un travail en commun pour le conditionnement et l’expédition des légumes de toute la région. Ma couverture herbue donne place à une croûte bitumée qui n’absorbe plus l’eau de pluie mais qui, bien au contraire, la laisse dévaler, en trombe, vers la mer, à Bertheaume, en passant par les prairies du bas de Keruzas.

Sur ma gauche, à l’école du village, les élèves, à l’étroit, poussent les murs. Enfin des rires d’enfants ! Comme des petits oiseaux, matin, midi et soir, ils piaillent en se dispersant sur mes trottoirs, à la recherche de leurs parents. Je me sens rajeunir, tout à coup !

Chaque jour, je vois passer des chargements de choux-fleurs, artichauts, pommes de terre, salades….. d’abord dans des charrettes tirées par des chevaux, puis, évolution oblige, des tracteurs remorquent des plateaux aux chargements de plus en plus volumineux. Des monticules de cageots attendent sagement d’être remplis de légumes et se préparent à partir pour un long voyage.

Quotidiennement aussi, je vois des camions à ridelles, au chargement le plus élevé possible, simplement maintenus par des sangles, coût du transport oblige, prendre la route de l’Angleterre via Roscoff… Souvent j’entends : ‘’cette fois il est trop chargé, il n’ira pas plus loin que le bas de la place !’’. Suspense ! Chacun se tait : un grand silence suivi d’une accélération contrôlée, toute en souplesse, et le bahut vire majestueusement vers le Lannou. Celui-là arrivera de l’autre côté de la Manche ! Les camions deviennent vite de plus en plus gros, de plus en plus beaux, et vont vers des destinations de plus en plus éloignées : l’Allemagne, la Hollande, le Danemark.... Je suis désormais la plus grande place de Plougonvelin.

On m’appelle à tort, Place de la S.I.C.A ., nom de l’entrepôt de légumes.

La semaine précédant la fête du pardon de Plougonvelin , le deuxième dimanche d’août, je vois arriver les forains avec leurs petites roulottes colorées. Ils s’installent pour quelques jours et montent leurs manèges et leurs stands afi n de fêter dignement Saint Gwénaël , le patron de la paroisse.

Le samedi après-midi et le dimanche, les haut- parleurs et la musique attirent toute la jeunesse du pays autour des tosse-tosse, casse-gueule, casse-boîte, loteries… Quelle ambiance ! Les bistrots voisins ne désemplissent pas : c’est bon pour le commerce !

En quelques années, les sommaires habitations de « Romanichel » sont devenues de superbes caravanes tout confort, faisant pâlir d’envie beaucoup de familles du pays.

J’oublie de vous dire que les bretonnants aiment aussi se réunir chez moi. Depuis quelques années en effet, les parents d’élèves des écoles organisent des « festou-noz » pour alimenter leurs finances, ce qui me permet d’accompagner leur gavotte, et de sautiller, bras dessus, bras dessous, au son des binious et des bombardes. Certains, moins sportifs, préfèrent la compagnie du chouchen pour voir la vie autrement.

En 1984, à l’occasion du 40ème anniversaire du débarquement

des Alliés lors de la guerre 1939-1945, une plaque est scellée contre le mur extérieur de l’école. Elle relate l’appel du 18 juin 1940 du

Général De Gaulle à tous les Français et a pour titre : « La France a

perdu une bataille, la France n’a pas perdu la guerre ».

Cette initiative s’inscrit dans le cadre du devoir de mémoire et de la transmission, aux plus jeunes, de l’histoire de notre pays.

Mais le temps passe, nous sommes en 1988 et les légumiers s’installent ailleurs. Il y a donc moins de gros véhicules à venir chez moi, et je peux davantage savourer la compagnie des enfants.

Entre-temps l’école s’est identifiée et s’appelle désormais « Ecole communale Roz-Avel » ce qui signifie : la pente éventée, expression évocatrice de la topographie du lieu et de la présence voisine, autrefois, d’un moulin à vent… milin avel .

Les locaux existants s’avèrent bien trop exigus pour accueillir tout ce petit

monde arrivant dans les nouveaux lotissements. Des constructions plus rationnelles sortent bientôt de terre dans le champ Lescop tout proche et l’école primaire s’y installe, laissant les tout-petits dans le cadre où ils ont déjà leurs habitudes.

Entre-temps, mes trottoirs ont été élargis et deux rangées d’arbres déploient leurs branches sur les voitures qui se reposent un instant, à leur ombrage. Au loin, près des maisonnettes des seniors, sur une aire de jeux aux couleurs flamboyantes, les mamans surveillent tendrement les ébats de leurs bambins, tandis que dans la salle communale, où chaque jeudi les anciens se retrouvent, un restaurant scolaire calme les appétits voraces des élèves des deux écoles.

Et la vie continue….

Nous sommes en juillet 2008, c’est l’été… il fait beau…. Les vacances me permettent de souffler un peu. Après l’agitation de l’année scolaire, le silence s’est établi dans ce coin du bourg.

La transition a été rude pour moi : du jour au lendemain, je n’ai plus entendu le roulement des cartables à roulettes sur les bas-côtés … je n’ai plus éclaté de rire avec les enfants à l’heure des récréations…. je n’ai plus vu le ballon voltiger très haut par dessus le fi let de protection et atterrir dans le potager des voisins... Un temps j’ai déprimé !

Puis le soleil aidant, j’ai vu passer des gens que je ne connaissais pas, des enfants qui, eux aussi, avaient forcément une école quelque part… Quelques ados sur des engins pétaradants m’ont réveillé à l’heure de la sieste.

Heureusement, dans quelques semaines, la vie reprendra son cours. Dès le jour de la rentrée, un flot de voitures, venant de tous les coins de la commune, avancera doucement entre mes deux allées d’arbres : attention à n’écraser personne ! Mon isolement sera alors terminé. Mon moral sera de nouveau au beau fixe, car je serai sûr d’avoir à nouveau de la compagnie pendant toute la durée de l’année scolaire. Sans doute, de nouveaux visages d’enfants me regarderont de près, histoire de se repérer. C’est toujours inquiétant d’arriver dans une nouvelle école ! Les

enseignants eux, arriveront quelques jours avant, pour préparer l’emploi du temps de ces futurs savants : sait-on jamais ?

S’il m’était donné, de pouvoir réunir tous les anciens élèves qui ont fait l’apprentissage du savoir dans les murs de cette école, je serais curieuse de connaître le parcours de chacun. Je demanderais alors aux plus grands, ceux qui ont maintenant l’expérience de la vie, d’encourager les enfants d’aujourd’hui, afin que leur passage dans le monde des adultes se fasse dans les meilleures conditions possibles. Et quand, à leur tour, leur

frêle regard se trouvera terni par les vicissitudes de la vie, les souvenirs des amitiés d’école leur permettront peut-être de se ressourcer et de repartir.

Dès le début septembre aussi, les seniors reprendront leurs rencontres hebdomadaires du jeudi dans la salle communale. Les parties de cartes, scrabble, trimino et boules se disputeront, ’après-midi durant. Voyez, sur mon territoire se côtoient les enfants de la maternelle et les doyens du pays.

Voilà mon histoire ! Que du banal ! Mais pour moi, c’est un demi siècle de bonheur qui vient de passer ».

Pour PHASE, Bernadette Le Rû, une voisine, le 07-08-2008