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Un davied, comment ça marche ?

(Daviet, Daviet, Davied ; utiliserons Davied, nom en usage à Plougonvelin)

À Plougonvelin, dans le secteur à falaise où l’accès des charrettes aux grèves n’est pas possible, la montée des algues devient particulière…
Pour hisser le goémon, le sommet des falaises avait été aménagé en terrasses, sur des sites choisis d’après leur caractère topographique. Il fallait en effet que la falaise fut la plus verticale possible, éventuellement surplombante.
Il fallait aussi que le sommet fut accessible à des chemins charretiers, et que l’on y disposa d’espaces planes pour la remontée, le stockage et parfois le brûlage du goémon.

Sur ces sites, on avait construit des murs de pierres sèches soigneusement appareillées, soit verticaux, soit (rarement) légèrement surplombants ou (rarement aussi) légèrement obliques. Pour ce faire et aussi pour les entretenir, les hommes travaillaient dans une tonne suspendue à un câble.

En arrière des murs, des terrasses avaient été faites d’un blocage de pierres et de terre pour permettre les allées et venues d’un cheval travaillant au davied et devant disposer d’un espace au moins égal ou mieux un peu supérieur à la hauteur sur laquelle la charge devait être montée.

Au sommet du mur est installé le davied comprenant une dalle de pierre (ar mean davied) percée du côté externe placé en encorbellement, d’un trou oblong où l’on enfile une forte pièce de bois d’orme (ar c’hoad davied)
portant dans sa partie supérieure un réa.

Le c’hoad davied encastré dans le trou du mean davied surplombe la grève par sa légère incurvation. Un câble un peu plus long que la hauteur de la falaise passe par le réa, il se termine par un léger support en V (buis ou frêne) sur lequel le faix de goémon est installé par un opérateur descendu dans la grève par un sentier escarpé.
Chaque charge pèse de 30 à 40 kilos.

En haut un cheval hisse la charge en circulant sur le halage de la terrasse et la tire sans s’arrêter après qu’elle ait fait basculer le c’hoad davied.

Croquis 3

Lorsque la largeur de la terrasse ne permettait pas une traction normale, on ajoutait un réa fixe sur une roche ancrée dans le sol.

Croquis 4

Le profil de la falaise obligeait parfois à installer deux davieds superposés, l’inférieur étant manipulé à l’occasion par un homme se tenant à côté, avec les dangers de chute que l’on imagine.

A marée haute la mer domine, à marée basse c’est la terre, ou plutôt un ensemble désordonné de roches, d’eau et d’herbes de mer...

Par vents violents de sud, sud-ouest, d’énormes vagues s’y écrasent, y sont pulvérisées, et les embruns déploient leur nuage au-dessus de cet ensemble chaotique blanchi par les flocons d’écume...

Extraits d’un article intitulé « Les anciens daviers remontée des algues dans les falaises de Plougonvelin, Le Conquet et Ploumoguer » de Thierry Simon et de C. Guilcher publié en 1983 par la Société Archéologique du Finistère :

« ....Devant ce secteur de la côte de Plougonvelin se dresse le groupe des grandes roches dit en français des Rospects (Klosinier Roc’h Toull pour les marins bretonnants, la principale roche étant appelée Roc’h Toull par tous), qui repose sur un bas plateau formant promontoire émergé à basse mer .....
.....L’estran fournisseur d’algues comporte une très forte protubérance, qui on le verra, pour un rôle très notable dans l’exploitation humaine de l’estran. ll faut y ajouter les fonds jusqu’à 5 mètres sous les plus basses mers, dont les algues peuvent être rejetées elles aussi dans les grèves lors des fortes houles, soit par arrachement à la roche en place, soit par transport à la côte avec leurs blocs rocheux d’ancrage auxquels elles donnent une flottabilité ....
....du point de vue de la nature des algues, le secteur qui a la meilleur croissance est celui qui est battu par la houle du Sud Ouest et qui inclut la protubérance des Rospects. Là, on observe un beau développement des laminaires, de bons tonnages susceptibles soit d’être coupés à grande basse mer, soit d’être rejetés à la côte lors des coups de vent...
 »

Éboulements naturels, vandalisme, inconscience des promeneurs... à présent sept sont irrémédiablement ruinés, trois n’ont plus la dalle de pierre percée, les restants seront-ils restaurés ou consolidés ?...
« Le goémon fait l’engrais du pays, on n’a pas connaissance que l’habitant de St-Mathieu ait eu le moindre différent a ce sujet. Il est seulement à remarquer qu’il coûte beaucoup à ramasser en ce que la côte est toute hérissée de rochers ; et des plus escarpés. Dans les moindres endroits, elle peut avoir au petit moins, quatre vingt pieds de hauteur. A St-Mathieu le dix-septième jour de décembre 1774. »

Cet extrait de la réponse du recteur de la paroisse de St-Mathieu à une enquête sur la pauvreté dans le diocèse de Léon, nous engage à découvrir le goémon « qui est un grand don de la providence aux armoricains du Léon. »
« ....le droit de davied était individuel et non public. Chaque ferme avait l’utilisation d’un ou plusieurs davieds et éventuellement ceux a une mème terrasse pouvaient être à l’usage de plus d’un propriétaire...
 »

Pendant des siècles, le goémon servira essentiellement à l’amendement des terrains agricoles. Une étude scientifique a montré que sur la pomme de terre par exemple, on obtenait de plus gros tubercules que si |’on utilisait du fumier, mais qu’il lui manquait des phosphates et de l’azote pour en faire un engrais complet.

De toute façon, l’agriculteur d’autrefois n’a pas le choix, le fumier est une denrée rare en raison du petit nombre de têtes de bétail qu’il a les moyens d’entretenir.
(Jean Chevillotte, dans son étude du cadastre communal de 1841 relevé à St-Mathieu des surfaces labourables plus étendues qu’ailleurs. Cela résulte-t-il de l’important emploi du goémon ?.)

Au « goémon-agricole » s’ajoutera bientôt le « goémon-industriel ». Au XVIIème on découvre que les cendres d’algues contiennent de la soude, une substance nécessaire à la fabrication du verre et jusqu’alors importée de l’étranger.

En 1811 un chimiste de l’armée de Napoléon, Courtois, extrait des cendres d’algues un corps nouveau : l’iode. La première des usines d’iode s’installe au Conquet en 1828, son activité se poursuivra jusqu’en 1955, l’importation d’iode à des prix défiant toute concurrence entraînant sa fermeture. Certaines usines nord-finistériennes se reconvertiront dans la production d’un nouveau produit l’algide, employé pour l’encollage des fils dans l’industrie textile, la fabrication d’apprêts pour la fixation des colorants de tissus ; utilisé en pharmacie, en parfumerie, dans l’industrie du papier, en pâtisserie ou il est utilise notamment pour la fabrication des crèmes glacées...
Devenu « diététique », le goémon arrive aujourd’hui sur nos tables sous forme de pain, légume d’accompagnement, salades, desserts, et dans nos baignoires sous appellation « médicinale ».

A Plougonvelin le goémon fut de tout temps principalement utilisé comme engrais.
Il y a quelques années on voyait pourtant encore à St Mathieu et au Cosquer des traces de « four à brûler ›› mais ce mode d’exploitation n’a jamais été ici très important. Ces fours consistaient en une fosse limitée par des pierres plates dans lesquelles on faisait brûler en combustion lente les algues préalablement séchées par épandage sur la terre ferme. L’incinération terminée, il restait un agglomérat de cendres compactes traité ensuite en usine d’iode.

Parvenu à l’usine, le produit faisait 1’objet d’un contrôle sévère, car certains « brûleurs » n’hésitaient pas à lui ajouter de la terre. De ce fait, « l’autorité judiciaire dû plusieurs fois interdire aux insulaires de Molène de vendre aux habitants du continent des cendres de varech fortement mélangées avec de la terre et dû prendre des mesures pour les empêcher d’exporter ainsi tout le sol cultivable de leur île... ››

De nos jours, chacun peut remarquer la rapidité avec laquelle le goémon échoué sur la plage du Trez-Hir est enlevé : par les agriculteurs à 1’aide d’engins mécaniques, par les petits jardiniers avec brouettes, sacs plastiques et remorques.

Ce sont les algues arrachées et abandonnées sur les grèves par la mer et leur enlèvement n’est pas soumis à autorisation préalable. C’est le goémon dit « d”épave. ››

Au contraire, celui qui adhère au rocher ou « goémon de coupe » ne pouvait être récolté qu”après décision municipale dont une des dernières parut dans « Le Télégramme » en avril 1948 : « La coupe du goémon attenant au rivage commencera le 9 avril et se terminera le 9 juillet 1948. La récolte ne pourra avoir lieu que du lever au coucher du soleil, (c’est l’extinction et1`allumage du phare de St Mathieu qui en limitait la durée).
Les propriétaires de terres cultivées dans la commune, auront seuls le droit de participer à cette récolte les habitants de nationalité française ayant six mois de résidence dans la commune, à condition que ces terres aient une contenance de 15 ares au moins et qu’elles soient exploitées par eux. L’emp1oi d’engins mécaniques pour la récolte des goémons est interdite d’une façon absolue 
 ».

Le 8 Février 1868, l’état décrétait le classement des végétaux marins en trois catégories et réglementait leur récolte :
Goémon de rive : le Maire de la commune en autorise la coupe deux fois par an, mais il doit en aviser l’administrateur local de 1’Inspection Maritime. Seuls les habitants des communes riveraines, ou tout propriétaire de terres de ces communes, à la condition de n”employer à ce travail que des riverains qui peuvent prendre part à la coupe.
Goémon poussant en mer : La coupe est permise toute 1’année sur les roches situées en mer et sur les rives des îles désertes. Ce goémon appartient à celui qui le récolte en bateau avec rôle d’équipage. Les cultivateurs peuvent, dans la limite de deux hommes par tonneau, s’adjoindre à 1’équipage.
Goémon épave : il devient la propriété de celui qui le recueille après l’avoir mis en tas. La récolte peut se faire en tout temps, mais les Maires ont le droit de l’interdire la nuit par des arrêtés approuvés par le Préfet Maritime et le Préfet du département. La décision municipale de 1948 résultait donc de ce texte, un des premiers en la matière « ordonnance de la marine » du mois d’août 1681 étant le plus ancien.

Le ramassage du goémon provoquait en effet alors des débordements de toutes sortes : bagarres, vols, déprédations. En faisant appliquer cette ordonnance, Colbert voulait les réduire en interdisant tout ramassage hors les temps fixés par chaque conseil de communauté et en le limitant aux côtes de chacune des paroisses (nom de la substitution territoriale remplacé par celui de commune en décembre 1789), et en interdisant aussi la vente de la récolte aux forains ainsi que son transport sur d”autres territoires paroissiaux.

Les habitants des paroisses riveraines devaient s’assembler le premier dimanche du mois de janvier de chaque année à l’issue de la messe, pour régler les jours de début et de fin de récolte.
Le législateur voulut ensuite concilier les besoins en goémon des agriculteurs et la préservation du frai du poisson comme en témoigne la déclaration du roi Louis XV, le 30 Mai 1731 :
« Nous avons été informés que les herbes de mer qui croissent sur les rochers au bord de la mer conservent le frai du poisson qui s’amasse autour de ces herbes ; que les poissons qui y éclosent y trouvent un abri une pâture assurée ; qu’ils s”y fortifient et y séjournent pendant l’été et une partie de 1’automne jusqu’à ce que les eaux devenant froides les obligent à se retirer au fond de la mer et nous faisons le nécessaire pour concilier la conservation du poisson du premier âge, avec les besoins que les habitants pourraient avoir de ces herbes... ».

Mais les Léonards se souciaient fort peu de ces réglementations successives car ils bénéficiaient d’un ancien usement en tout différent de leurs voisins « Les armoricains de Léon desquels les villages et tenues aboutissent sur la mer sont en possession chacun en droit de ses terres de jouir et de disposer du goémon qui se coupe des rochers ou que la mer rejette...  ».

Le 30 octobre 1772 ce privilège leur est retiré, une déclaration royale généralisant la période de ramassage aux trois premiers mois de l’année :
« Cette mesure rend inutile à nos armoricains ce grand don de la Providence, écrit le Recteur de Landunvez et en voici les raisons :
- parce qu’on ne peut en ces temps sécher le goémon et qu’il se perd en deux ou trois jours,
- parce que c’est la période d’ensemencement des terres et qu’on ne peut être à la fois au champ et à la grève,
- parce que le mois de mars est aussi le temps où les juments poulinent. Il faudrait donc atteler des juments qui ont nouvellement pouliné ou sont sur le point de le faire, au risque de perdre et les mères et les fruits par un charroi difficile,
- pendant ces trois mois la saison est si dure que les plus robustes ne peuvent qu’avec peine en supporter la rigueur dans une grève et que par conséquent les médiocres ne la supporteraient pas et qu’ils en viendraient à manquer de pain parce que le goémon seul en donne aux trois quarts des armoricains... ».

En 1774, le roi Louis XVI, informé sur la misère du peuple, demande qu’i1 soit fourni un état des biens des Hôpitaux, Hôtels-Dieu, celui des Fonds de Charité de chaque paroisse et tous renseignements de nature à apporter un soulagement aux pauvres. Les évêques, chacun pour son diocèse sont chargés de les collecter.
Monseigneur De La Marche, évêque de Léon adresse donc à tous les recteurs le questionnaire administratif, y ajoutant pour ceux des paroisses riveraines de la mer : « si vous aviez quelques observations utiles à faire relativement aux goémons, je vous prie de me les communiquer
 »,
L’évêque obtint la libéralisation de la coupe et du ramassage du goémon mais il fallut bientôt reconnaître qu’on était allé un peu trop loin dans la liberté accordée, et bien que l’Académie des Sciences ait reconnu que la coupe était de nulle influence sur le développement de la faune sous-marine, après nouvelle enquête, cette fois organisée par les préfets, il fut décidé que des décrets détermineraient pour chaque arrondissement maritime, « les dispositions spéciales, propres à prévenir la destruction du frai et à assurer la conservation du poisson et du coquillage, notamment celles relatives à la récolte des herbes marines  ».

Ces dispositions, toujours en vigueur, sont tombées en désuétude l’engrais chimique remplace l’engrais organique et les davieds sans usage, sont à l’abandon...

Jacques Rongier

Sources
• Courrier du Finistère 1909
• FAVE Antoine « les faucheurs de la mer ›› 1906
• Services Historiques Marine (ordonnance Marine 1681)
• CUDENNEC croquis 1 et 2 Jacques RONGIER
• GUILCHER et SIMON : B.S.A.F. 1983
• Cergle dHistoire Locale,
• RONGIER : Kannadig St Guenael 1986

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