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Histoire du site de Bertheaume

Rapide historique du site de Bertheaume. La lecture de cet article peut avantageusement être complétée par le livre " Bertheaume " publié en 2017 par l’association PHASE.

Une plage à l’abri des vents d’ouest, un ruisseau, une source toute proche, un gros rocher isolé au milieu des flots, accessible par fort coefficient de marée : cet îlot réunit tous les “ingrédients” nécessaires pour justifier une présence humaine dans les temps les plus reculés.

Au mésolithique (7000 à 8000 ans avant notre ère) il y avait sur la falaise une installation permanente de tailleurs de pierre ; on y a retrouvé des traces d’un atelier de microlithes (petits silex taillés) assez originaux pour s’appeler le mésolithique de Bertheaume.

Microlithes de Bertheaume

A l’âge de bronze (3000 à 1000 ans avant notre ère, âge d’or des pharaons) d’anciens habitants y ont laissé leurs dépouilles : des fouilles ont mis au jour une douzaine de sépultures de type “tombes à coffres” à proximité du site.

Tombe de l’âge du Bronze découverte en 1998
Aujourd’hui exposée à l’Espace Keraudy (cl. J.-Y. Éveillard)

De la conquête romaine, peu de traces subsistent : quelques tessons de céramique datant des IIème et IIIème siècles, quelques fragments de tuiles, ne permettent pas de conclure à la présence d’une garnison romaine.

Fragments de tegulae et d’imbrices

Les atouts de ce site, exposés plus haut, laissent à penser qu’aux Vème et VIème siècles les moines d’Irlande et de Galles venus évangéliser l’Armorique, ont mis pied sur ces grèves. Saint Sané aurait débarqué sur la plage du Perzel, avec une cinquantaine de ses disciples et se serait dirigé quelques kilomètres plus loin pour fonder la paroisse de Plouzané.

Il serait étonnant que ce lieu soit resté inconnu des Vikings en route en 913 pour incendier l’abbaye de Landévennec  ; mouillage idéal pour faire escale avant de s’aventurer jusqu’aux confins de l’Elorn

Le château des ducs de Bretagne  ? Encore des hypothèses : cependant un aveu [1] du 8 mars 1474 mentionne “un champ situé sur le chemin menant du dit terroir au château de Perzel”. Il y avait donc un château érigé sur l’îlot rocheux avant le XVème siècle.

Depuis le XIIIème siècle l’autorité était passée des mains du vicomte de Léon à celles du duc. On peut supposer que ce château a été construit au début du XIVème siècle avant la guerre de Succession de Bretagne (1344 – 1364).

Jean IV (1364 – 1399) confia la garde de Brest et des bastions d’alentour aux Anglais : en effet, Edouard III d’Angleterre, en janvier 1366, signe à son beau-fils “que la ville de Saint-Mathieu, nulle autre ville, ne le chastel sur les porz, ne soient par nulle voie dessouz la garde ne le governement des bretons, mais soient governez par bons et suffisants engloys et par nuls autres”. Jean IV ne put récupérer Brest et les bastions qu’en 1397.

Pendant cette période de domination anglaise l’îlot et le château vont prendre le nom de Bertheaume. Les Anglais vont donner à ce lieu le nom d’un de leurs saints, Saint Bertem, ou Saint Bertellin, appelé vulgairement Berteaume, ermite confesseur. Dans une réclamation de 1390 du duc Jean IV, due à un naufrage de deux vaisseaux, il est écrit “deux vessaulx que peucoerent (firent naufrage) et rompirent à Bertem”, ce qui signifie que ce nom était connu comme tel bien avant cette date.

Extrait de la carte de Gérard Mercator (1512-1594) datée de 1585 désignant « Berteaume »
– Britannia et Normandia cum confinibus regionibus – per Gerardum Mercatorum cum privilegio –
(source : B.N.F. Gallica)

Un siècle et demi plus tard, le 10 août 1512 la petite garnison du château de Bertheaume assiste au combat naval mettant aux prises Hervé de Portzmoguer, capitaine de la Cordelière , et la flotte anglaise d’Henri VIII. Hervé sacrifia son bateau, sa vie et celle de nombreux combattants bretons, en entraînant dans son naufrage le bateau amiral anglais, Le Régent , et tout son équipage.

Le 29 juillet 1558 à 8 heures du matin, une flotte anglo - hollandaise, forte de cent vaisseaux, débarque sept mille hommes aux Blancs Sablons ; ceux-ci, soudards et pillards, vont incendier toutes les maisons du Conquet, 8 sur 400 resteront debout, l’abbaye de Saint-Mathieu, en emportant tous les objets précieux, 220 maisons de Plougonvelin, et, plus loin, le château de Bertheaume. Guillaume de Chatel, gentilhomme breton, rassemble une troupe de dix mille hommes, massacre les soldats Hollandais qui tentaient de protéger les Anglais en fuite, et force ces derniers à rembarquer.

Le duc d’Etampes, lieutenant général du roi et gouverneur de Bretagne, venu constater les dégâts, écrit dans son rapport “me suis transporté au lieu et place de Brest, au lieu dit Berthomme”. Le 14 octobre 1585, sur l’acte de baptême de François, fils d’Olivier Kerannou sieur de Kervasdoué, Olivier se dit capitaine du château de Bertheaume.

Ces témoignages plaident nettement en faveur d’un château sur l’îlot. Il faudra attendre le règne de Louis XIV pour voir un ingénieur de fortifications s’intéresser à Bertheaume. En effet, en 1677, l’ingénieur Sainte Colombe propose au roi “d’installer des canons sur la petite île de Bertheaume proche du port de Tréhire sur les ruines du château des anciens ducs de Bretagne”.

Ce qui ne semblait pas une priorité du roi en devient une dix ans après. En effet, la guerre est déclarée entre la France et les Anglo-Hollandais. Brest est l’une des places fortes importantes du royaume et Bertheaume son avant poste. Vauban décide d’y aménager une batterie de cinq pièces : trois canons orientés vers le plan d’eau et deux mortiers aptes à tirer vers le large.

Plan du fort de Bertheaume par Benoît de Musinot -fin XVIIè siècle (SHD Vincennes-dep. Marine, coll..Nivart)

En 1694, cette batterie est opérationnelle quand se présente le 17 juin une flotte anglaise devant Camaret. Un rapport anglais de cette expédition, qui devait échouer, raconte : “une fois sur cette route, parvenus très près de la côte nord nous fûmes ainsi reçus par plusieurs bombes provenant d’un vieux château de la baie de Bertheaume”. Ainsi, le fort participe à un ensemble cohérent gardant les accès du port de Brest ; son rôle essentiel est de couvrir l’anse de Bertheaume, point de rassemblement des formations navales en attente de vent ou de marée pour entrer au port de Brest ou gagner la haute mer. Sur le fort, l’espace bâti se limite à la plate-forme supérieure de l’îlot.

Au XVIIIème siècle, la batterie de Vauban fut complétée par une batterie basse située côté “est” du fort. L’inspection du 22 mai 1793 devait se traduire par un mécontentement de tous les commissaires constatant le très mauvais état de la batterie et son inutilité. Avec la fin du premier empire la paix s’installe sur nos côtes, Bertheaume est désarmé.

A la fin du XIXème siècle, une nouvelle tension intervient dans les relations franco-anglaises (luttes pour la possession de colonies en Afrique). Les états majors de la Troisième République vont repenser la défense de Brest et de ses environs, le site de Bertheaume reste privilégié. Trois nouvelles installations sont réalisées sur la terre ferme :
- la batterie annexe (située derrière le théâtre de verdure). Ouvrage principal de six canons de gros calibre balayant tout le plan d’eau entre la presqu’île de Crozon et la côte léonarde : 2 canons de 320 mm, 2 canons de 240 mm, 2 canons de 160 mm,
- la batterie basse (située sur le grand parking) armée de 3 pièces de 95 à tir rapide,
- la batterie haute (actuel terrain d’accueil des Camping-cars) armée de 4 canons de 95 et de quatre mortiers lourds de 270 mm.

Canon de 320 mm sur affût modèle 1882

L’entente cordiale, entre la France et l’Angleterre, au début du XXème siècle allait rendre inutiles ces installations. La première guerre mondiale entraînera le désarmement de Bertheaume, les canons seront expédiés sur le front.

Cependant, Bertheaume reste un site militaire. Entre 1940 et 1944 les Allemands s’en servent comme point d’appui local du “Mur de l’Atlantique”.

La Wermacht y installe D.C.A., canons de 75, mortiers et mitrailleuses qui jusqu’au 8 septembre 1944 défendront cette position. L’histoire militaire du site s’arrête à cette date.

En 1992 la municipalité de Plougonvelin achète à la Marine le fort, l’îlot intermédiaire et la batterie annexe au prix de 600.000 Francs (91 000 €) ; mais il fallut ensuite en dépenser autant pour déminer le site.

Bertheaume est devenu un lieu de paix, reconverti en espaces de loisirs et de culture, de jeux, d’expositions, spectacles.

La liaison "fort - continent"

Ces commentaires seraient incomplets si on omettait “le casse tête chinois” représenté par les trente mètres isolant le Fort de la partie continentale. Ce franchissement a pourtant posé aux ingénieurs de toutes époques de sérieux problèmes.

Avant 1694, l’îlot n’est accessible que par barque. A cette date les ingénieurs font circuler une navette, appelée “bateau volant”, sur un câble à partir d’un système de va et vient, bateau qui vous dépose au deuxième palier.

La construction de l’escalier en 1744 permet à la navette de s’arrêter au premier palier. Elle restera en place jusqu’en 1817, donc pendant 123 années, dans des conditions de sécurité laissant à désirer.

En 1817, un pont de cordes la remplace. Il est hissé par un treuil dont on voit les restes près de la maison du gardien ainsi qu’au premier palier. Ce pont n’était pas plus “sécurisant” que le bateau volant.

Ainsi en 1861, fi des moyens de passage dans les airs : on construit un radier de dalles de pierres. Toujours visible ; défiant les années, il permet le passage à pied sec, à basse mer.

En 1900, une passerelle métallique avec platelage de bois est construite. A la fin de la guerre, en 1944, elle est renforcée au moyen d’une armature en béton armé.

A partir de la Libération le site de Bertheaume, sans réel entretien, se dégrade peu à peu. Bientôt il ne reste de la passerelle que deux poutrelles. Nombreux, nous nous souvenons que, les emprunter pour rejoindre le Fort, nécessitait de réels talents d’équilibriste.

En 1992 la commune fait reconstruire la passerelle métallique sur assises en béton armé.
Deux ans plus tard une tempête de sud-ouest, de force décuplée en ce goulot étroit, en emporte un bon tronçon.

La dernière restauration date de 1996.

La forteresse n’est plus à conquérir ! Les assaillants s’y rendent !

La magie du lieu les ensorcelle, comme lors de cette soirée du 7 août 2004…

Un coup de canon…Un seul !

En 1914, à la déclaration de guerre, les canons de Bertheaume étaient encore en position, armés, prêts à tirer, avides de servir....

Installées depuis une vingtaine d’années pour faire face à un affrontement franco-anglais, les trois batteries haute, basse et annexe avaient vocation à affronter les “dreadnoughts” de la perfide Albion. Mais depuis la signature de l’Entente Cordiale, la Grande-Bretagne n’était plus un ennemi potentiel : elle était devenue la forte et loyale alliée... qu’elle est toujours. Ainsi, malgré une compréhensible frustration, les canons de Bertheaume n’auraient jamais dû tirer. Et pourtant ...

Au tout début de la guerre, en août 1914, un paisible cargo, brûlant ses dernières pelletées de charbon, arriva de l’autre bout du monde. Sans radio, sans nouvelles, ignorant tout de l’attentat de Sarajevo et de ses suites, il se croyait encore dans un monde en paix. Il ne comprit rien aux injonctions sémaphoriques du poste de Créac’h Meur qui lui ordonnait de se faire reconnaître, et fit mine de poursuivre sa route.
L’infraction fut signalée à la batterie de Bertheaume où l’officier de tir, ne connaissant que la consigne et sans doute un peu nerveux en ces premiers jours de guerre, tira le “coup de semonce” réglementaire sur l’avant du fautif. Tétanisé par la panique et l’incompréhension, celui-ci stoppa aussitôt. Et l’incident en resta là.

Ce fut, à notre connaissance, l’unique coup de canon “opérationnel” tiré par la batterie de Bertheaume.

Les saucisses aériennes

L’arrivée des convois de bateaux vers Brest, principalement à partir de 1917, ceux amenant les troupes américaines, rendit nécessaire une surveillance vigilante contre les incursions éventuelles de sous-marins allemands et les mines qu’ils pouvaient semer.

Cette observation fut en partie confiée à l’Aérostation Maritime : les dirigeables de Guipavas et les ballons captifs de Laninon, les saucisses embarquées sur des remorqueurs d’escortes.

De là-haut, un champ de vision étendu s’offrait aux observateurs attentifs à détecter le moindre engin suspect. Un câble téléphonique reliait la nacelle à son remorqueur, permettant ainsi un contact permanent et instantané, nécessaire en cas d’alerte.|

Souvent, l’aérostation maritime utilisait aussi la batterie, dite basse de Bertheaume, comme base opérationnelle dont l’équipement donnait lieu à de savantes manœuvres.

Arrivant du centre de Laninon, tirée par son remorqueur, la “Saucisse” arrivait au pied de la batterie, près de la plage du Perzel, d’où, par un jeu de câbles et de poulies, elle était transférée sur un treuil automobile, opération rapidement réalisée par une équipe au sol de matelots-arrimeurs.

Après la guerre, l’entraînement du personnel des ballons captifs continua à se faire à Bertheaume, offrant, vu de la plage du Trez-Hir, le spectacle insolite de la “Saucisse” de couleur jaune se balançant au bout de son câble, à 150 ou 200 mètres d’altitude au-dessus de la mer.
(D’après les archives de Ch.-Yves Peslin).


[1Aveu : Déclaration écrite constatant l’engagement du vassal envers son seigneur, à la suite du fief que lui a remis ce dernier.